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Elections ? Non : recherche d’alibi
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3 février 2005 21:00
Je veux, je dois, vous parler de ce que le grand pourfendeur de la tyrannie, le propagateur de la liberté et de la démocratie dans le monde a osé appeler des « élections libres et transparentes », avant d’inviter les Irakiens et l’ONU à les organiser, et de presser les électeurs à voter en masse : « J’appelle les Irakiens à voter et à défier les terroristes… », a-t-il dit à la veille de l’événement.
Lui, George W. Bush, son ambassadeur à Bagdad John Negroponte et leurs généraux ont fixé la date du 30 janvier et refusé d'en changer : il fallait que le scrutin ait lieu vite, qu'il se déroule là où cela est possible, et quel que soit le prix à payer en vies humaines comme en argent.

De leur côté, les insurgés étaient résolus à empêcher le vote, à tout prix.

Les uns et les autres ont utilisé tous les moyens dont ils disposaient pour atteindre le but poursuivi : chacun d'eux pourra dire qu'il a obtenu le résultat qu'il voulait atteindre.


Lorsque ce journal sera entre vos mains, l'opération aura eu lieu. Quoi qu'il se passe sur le territoire irakien ce jour-là, quels que soient le déroulement des opérations, le nombre de morts, celui des inscrits et le pourcentage de votants, nul ne pourra affirmer sans ridicule que le peuple irakien s'est exprimé à travers des élections libres et transparentes.

Aucun homme sérieux ne pourra soutenir valablement qu'il s'est agi d'une consultation électorale probante : peut-on en réussir une dans un pays occupé par plusieurs armées, placé sous loi martiale et où l'on résiste à l'occupation ? Des affiches sans nom, des candidats sans visage et dont on ignore qui finance la candidature, des rues désertes et, chaque jour, dans la capitale et une partie du pays, des bombes et des tués par dizaines : pouvait-on parler d'une campagne électorale digne de ce nom ?

Les observateurs étrangers n'ont même pas eu la possibilité d'entrer dans le pays et encore moins, par conséquent, d'y circuler le jour du scrutin ; près du tiers des Irakiens - la plupart, mais pas tous, sunnites - n'ont pas été en situation de voter, même s'ils l'avaient voulu.


Le pouvoir américain n'en a cure, car il ne s'est agi en fait, pour lui, que d'exécuter la troisième phase de l'entreprise lancée le 19 mars 2003, il y a donc vingt-deux mois : un coup d'État d'un type inédit par lequel une grande puissance s'arroge le droit de remplacer par la force des armes, dans un pays pétrolier voisin d'Israël, un pouvoir qui lui est hostile par un autre confié à des hommes présélectionnés et « tenus » par ses services, qui ne pourront être que dociles.

À la fin du mois de juin dernier, les auteurs du coup d'État ont remplacé l'exécutif provisoire, désigné le 1er juin 2003 par leur proconsul pour gérer le pays sous sa direction, par un gouvernement intérimaire confié à Iyad Allaoui, succédant à Ahmad Chalabi, l'un et l'autre stipendiés par la CIA américaine (et, pour Allaoui, par le MI6 britannique).

À la place du gouvernement intérimaire, dans quelques jours, ils en installeront un autre censé être légal, voire légitime, puisqu'il sera issu de ces « élections » libres décrites plus haut.


Qui dirigera ce nouveau gouvernement ? Ne vous attendez à aucune surprise : ce sera Iyad Allaoui, s'il a pu se faire élire, ou quelqu'un qui, comme lui, sera « tenu » et aura accepté de jouer le jeu des Américains.

Maîtres du pays, ces derniers ont déjà indiqué aux prétendants et à tous ceux que le suffrage pourra promouvoir que la puissance occupante n'acceptera qu'un homme qui remplit trois conditions :

- ne pas être sous influence iranienne ;

- ne pas nourrir l'intention de demander aux États-Unis d'évacuer l'Irak ;

- ne pas avoir en tête d'installer à Bagdad un État islamique.

L'ambassadeur de Bush a précisé en confidence qu'il appréciait Iyad Allaoui : pour les États-Unis, celui-ci présente en outre l'avantage d'être le « diable qu'on connaît ».


L'étape des « élections » franchie, que va-t-il se passer ? Les initiés connaissent les grandes lignes du plan en trois points concocté par l'actuelle administration américaine, qui ne dispose que de trois à quatre ans pour le mettre en oeuvre.

On peut le résumer en peu de phrases :

1. Aider le gouvernement irakien que les États-Unis auront installé au pouvoir en février ou en mars prochains à se doter d'une armée, de services de renseignements et de sécurité pour venir à bout de l'insurrection sunnite, qui, n'ayant ni chef reconnu, ni stratégie, ni alliés extérieurs puissants, est, selon les analystes américains, condamnée à l'échec, malgré sa virulence actuelle ;

2. Retirer progressivement d'Irak, d'ici à la fin de 2006, le plus gros de leurs troupes terrestres. Mais conserver, à travers le pays, des bases militaires, principalement aériennes ;

3. S'assurer une mainmise durable sur le pays à travers les hommes que l'Amérique aura installés au pouvoir.

Les mêmes initiés savent que l'exécution de ce plan a commencé :

- d'une part, l'armée américaine a déjà entrepris de construire, à travers tout le pays, seize bases aériennes, immenses et très bien équipées, pour s'y installer de manière permanente ;

- d'autre part, les services de John Negroponte - plusieurs milliers de fonctionnaires américains rassemblés à Bagdad et formant la plus grande des ambassades américaines dans le monde - échafaudent, depuis juillet dernier, des schémas de privatisation qui assureront à l'Amérique et à ses entreprises le contrôle de l'économie irakienne, pétrole inclus.


Le plan décrit ci-dessus donne un sens et une cohérence à ce que l'administration de George W. Bush a décidé, dès le début de 2002 (la guerre pour abattre et remplacer le régime de Saddam), et à ce qu'elle y fait depuis vingt-deux mois : une seconde guerre pour éliminer tout ce qui contrecarre son dessein d'installer en Irak - et plus tard chez les voisins iranien, palestinien et syrien - des régimes « démocratiques », mais surtout, amis et, disons-le : inféodés.

L'Amérique de Bush et Rumsfeld n'a pas encouru la perte de près de 20 000 soldats - tués ou blessés - et engagé près de 200 milliards de dollars pour seulement donner à 25 millions d'Irakiens la chance de respirer l'air de la démocratie.


Le très lucide et très célèbre professeur (américain) du Massachusetts Institute of Technology Noam Chomsky dit, mieux que je ne pourrais le faire et en meilleure connaissance de cause, le dessein secret des hommes que l'Amérique a placés à sa tête en janvier 2001 :

« Un Irak souverain, indépendant et démocratique est une "plaisanterie". Je ne vois pas comment le Royaume-Uni et les États-Unis pourraient accepter un Irak souverain et indépendant. C'est presque inconcevable. [...]

« L'Irak, c'est le dernier endroit du monde où il y a des ressources pétrolières massives, peut-être les plus importantes qui soient ou presque. Les profits qu'il y a à en tirer doivent aller en premier lieu dans les bonnes poches, c'est-à-dire les compagnies pétrolières américaines et, ensuite, britanniques.

« La maîtrise de ces ressources met les États-Unis en situation particulièrement favorable pour exercer leur influence sur la planète. »


Je crois que c'est en effet ce que le pourfendeur autoproclamé de la tyrannie est venu chercher en Irak.

Parviendra-t-il à ses fins ? J'en doute fort. C'est la majorité chiite du pays, bénéficiaire aujourd'hui du changement de régime organisé par les Américains, qui se rebellera demain contre le système néocolonial dans lequel ces derniers voudront la faire vivre.

BÉCHIR BEN YAHMED


 
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