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Décès du politologue Rémy LEVEAU
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3 mars 2005 22:43
Avant d’être un politologue reconnu par la communauté scientifique internationale pour ses travaux sur les systèmes politiques arabes contemporains et l’islam européen, dont il avait d’ailleurs été l’un des initiateurs français, Rémy Leveau était d’abord « le Prof de Science Po » à qui de nombreux jeunes universitaires, chercheurs, journalistes mais aussi haut fonctionnaires et « politiques » doivent aujourd’hui leur initiation au Monde arabe. Animé par une « passion raisonnée », R. Leveau a été à l’origine de nombreuses vocations « arabisantes » qui se sont d’autant mieux réalisées, que « le Prof » a toujours soutenu et accompagné ses étudiants, les encourageant à transformer leur passion en « métier ». D’aucuns diraient que R. Leveau faisait partie de ces « universitaires pragmatiques » qui savaient concilier intelligemment « engagement académique » et « insertion dans les réseaux socioprofessionnels ». A beaucoup d’égards, on peut le considérer aujourd’hui comme l’un des promoteurs français des « sciences sociales appliquées » au Monde arabe. Ces écrits scientifiques reflètent largement cette orientation : en 1976, il publie Le Fellah marocain défenseur du Trône (Presses de la Fondation nationale des sciences politiques), à la suite d’une mission d’expertise au sein du cabinet du ministre marocain de l’Intérieur ; cette étude, nourrie de données politiques et sociodémographiques de première main, sera incontestablement fondatrice de la sociologie électorale marocaine, qui influencera non seulement le regard des politologues français sur le Maghreb politique mais aussi les nouvelles générations de politistes marocains. Toujours animé d’un esprit pionnier, il est l’un des premiers politologues français a « parier » sur la transplantation de l’islam dans les sociétés européennes, refusant de le considérer exclusivement comme un phénomène provisoire, importé et étranger. Il comprend très vite que l’islam va devenir la « deuxième religion de France » et que les immigrés et leurs enfants, loin d’opérer une rupture vont réinvestir massivement le « vecteur religieux ». Dans cette perspective, il lance et supervise une série d’études empiriques sur les communautés musulmanes de l’Hexagone qui donnent lieu à la publication avec, Gilles Kepel, de l’ouvrage collectif, Les musulmans dans la société française (Presses de Science Po, 1987). Suivant son intuition, il sera également l’un des tout premiers universitaires à pressentir la dimension européenne de l’islam et les phénomènes de « transnationalisation » : les communautés musulmanes ne se contentent plus de s’organiser à l’échelle nationale mais aussi à l’échelle continentale, voire « transtionale ». Dans cette optique, il publie, Islam(s) d’Europe (Centre Marc Bloc, Berlin, 1998). Avec Catherine Wihtol de Wenden, il avait également contribué à vulgariser la notion de « Beurgeoisie » (ces bourgeois français d’origine maghrébine), s’attachant à décrire l’émergence de nouvelles élites économiques, sociales et politiques, issues des migrations maghrébines, se référant à un double système de légitimation à la fois communautaire et universalo-républicain. Son intérêt pour le Monde arabe n’a pas tari pour autant. Rémy Leveau, à la fin de sa carrière universitaire, a continué à publier de nombreux essais politiques, entre autres, Le sabre et le turban (éditions François Bourin, 1993), analysant finement les relations incestueuses entre les militaires et les élites politiques dans les régimes autoritaires.

Rémy Leveau restera dans les mémoires comme l’incarnation d’un « Universitaire - Frontière », conciliant simultanément recherche et expertise politico-administrative, enseignement académique et études de terrain, production scientifique et vulgarisation à destination des médias et du grand public. Ce caractère frontalier est encore renforcé par son souci permanent de penser les phénomènes sociopolitiques en interactions entre les deux rives de la Méditerranée, refusant de les enfermer dans des logiques purement nationales. Mais plus encore, c’est l’image du « Prof » qui restera dans les mémoires de ses anciens élèves, « ces hussards verts de la République » qui lui doivent aujourd’hui leur passion du monde arabo-musulman.

Vincent Geisser
La liberté des autres étend la mienne à l'infini.
h
3 mars 2005 23:19
R. Leveau : "On continue à faire du Basri sans Basri"
Spécialiste du monde arabe et du Maroc en particulier, Rémy Leveau analyse la nouvelle carte politique marocaine et la montée en puissance du Mouvement Populaire.
Le Journal Hebdomadaire : Il y a eu, lors des dernières élections législatives, une dynamique de coalition entre les partis populaires. Cette coalition est aujourd'hui brandie comme une coalition politique possible pour un remaniement ministériel. Qu'en pensez-vous ?
Rémy Leveau : D'abord, quelle légitimité ont les élections au Maroc ? Nous sommes toujours dans un système où le palais passe des accords avec les partis politiques avant les élections. Car il y a une constante depuis les élections d'avril 1963 : les élections ne doivent pas imposer la carte politique marocaine. Elles doivent simplement permettre de consolider les décisions prises au préalable par consensus avec les élites politiques. Quand le roi a voulu coopter l'USFP, il a choisi le biais des élections. Et quand il a voulu s'en débarrasser, ce sont aussi les élections qui le lui ont permis. Aux dernières élections législatives, l'USFP n'était pas en mesure d'imposer une majorité, et le palais a pu fabriquer une majorité.

Pourquoi le pouvoir aurait donné autant d'importance aux Mouvements Populaires ?
Les législatives de septembre 2002 ont écarté les socialistes, et ont fait apparaître le mouvement islamiste comme principal acteur. Pour les communales, on savait que la force potentielle était islamiste. Donc, d'un côté, on l'a maîtrisé en imposant au PJD de réduire leur nombre de candidats et, d'un autre côté, on a souhaité faire apparaître une nouvelle force montante. Les courants islamistes devenant trop forts, il est important de montrer que dans la réalité socio-économique du pays, il peut y avoir d'autres forces. On continue à faire du Basri sans Basri. Aujourd'hui, il y a très probablement la volonté de rééquilibrer le courant islamiste par un autre, et comme on sent que le courant berbère est en train de monter, on le gonfle. Et pour cela, on leur donne du poids localement par le biais des législatives.

Vous définiriez le Mouvement Populaire uniquement en référence à l'identité berbère ?
Le Mouvement Populaire par essence, ne se caractérise pas par une couleur politique. Son identité est avant tout régionale et culturelle. Un rééquilibrage en leur faveur laisserait supposer que l'on milite pour qu'un certain nombre de décisions se prennent à un niveau local et régional. Ce ne serait donc plus la même forme d'Etat. Car la décentralisation n'est pas la même selon que l'on choisisse de la faire avec l'Istiqlal, l'USP, les islamistes ou les Berbères.

Vous pensez que l'on joue la carte islamiste contre la carte berbère ?
Non, les deux ne sont pas incompatibles. N'oubliez pas que dans l'héritage du Mouvement Populaire à long terme, il y avait Khatib. Il y a des berbères islamistes. La politique "s' ethnicise" en Afrique, en Algérie, l'idéologie politique ne rassemble plus les masses. L'identité berbère peut se jouer comme un acquis politique à tous les niveaux aujourd'hui, rural comme urbain. En fait la monarchie joue le même scénario qu'avec l'alternance. Hier, c'était la gauche, aujourd'hui, on le fait avec une partie des islamistes et une partie des Berbères , manière de montrer aux islamistes qu'ils ne sont pas les seuls à représenter une force dans le pays. Mais au bout du compte, il n'y a toujours qu'un seul acteur politique, c'est la monarchie.



Propos recueillis
par : Nadia Hachimi Alaoui
 
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